© Simer

carnet de notes

Traces fantômes et mémoire vive, le passé n’est pas seulement un rêve...

Je suis persuadé que les choses agissent au-delà d’elles-mêmes, sinon ça n’aurait aucun intérêt de vivre. Ça circule, l’esprit circule. Comme disait si bien Spinoza, il est plus important que la circulation du sang. On voit que l’esprit circule et mes spectacles ont été peu vus, la plupart ont très peu tourné, certains pas du tout. Et ça n’empêche pas qu’autour de ces spectacles se soit créé un peu de mythe. (Claude Regy)

La mémoire est composée d’éclats. On se souvient d’un visage. D’une voix. D’une présence. D’une image. À ses dires, le premier souvenir de théâtre de Claude Regy serait Gaby Morlay pleurant dans un mouchoir au Théâtre Municipal de Montauban.
La mémoire est créée par le spectateur. Il a posé son regard et parfois fermé les yeux, il a entendu, il a vu et parfois rêvé. Les spectacles de Claude Régy sont des espaces de songes ouverts à toutes les projections.
La mémoire est tout ce qu’il nous reste du théâtre. Elle est devenue le véritable lieu de l’expérience. Il faut voir un spectateur raconter un spectacle, comme il bouge, comme il tremble, comme il hésite, comme il repart. Le spectacle n’est plus sur scène – elle est déjà vide depuis bien longtemps – le spectacle est en lui.

Pour Jeanne d’Arc au bûcher, il y avait en fond de scène un rideau de fer qui faisait partie de l’architecture de l’Opéra Bastille. On avait pris le parti de 1’éclairer violemment et quelqu’un a dit : « Le plus beau moment, c’est la neige qui tombe. » C’était un rideau industriel en aluminium éclairé par des projecteurs et quelqu’un a vu tomber la neige. Une seule personne sans doute l’a vue. Il ne faut pas lui dire qu’il n’y avait pas de neige. Je suis très heureux d’avoir su faire tomber une neige sans matérialité que cette femme - c’était une femme - désirait dans son inconscient.
(Claude Régy, Les états latents du réel, discussion avec Arnaud Rykner)

Ce site internet pourrait alors paraitre dangereux s’il cherchait à faire la lumière sur la part d’ombre et de souvenir que chaque spectateur garde des spectacles de Claude Régy. Pour se rassurer, gageons ensemble qu’aucune des très nombreuses informations factuelles présentes ici n’égale le souvenir vivant d’un spectacle. Que si, peut-être, une donnée vient troubler un souvenir alors faut-il donner raison au souvenir.
L’immense travail mené par Alexandre Barry et Bertrand Krill sur ce site internet fut de rassembler une grande quantité de documents, de textes, d’images tout en respectant les zones d’ombre, d’inconnu, en interrogeant les fantômes, en écoutant les échos. Pour les spectateurs de longue date c’est une invitation à se replonger dans la galerie intérieure de ses spectacles. Pour le spectateur trop jeune, c’est peut-être la possibilité de remonter le temps et de rêver à ce que furent ces moments de recherche et de création où lentement des limites ont été franchies ouvrant sur des continents de poésie jusqu’alors inexplorés.

Ce site internet continuera de se développer et de s’étoffer au fil du temps. Il est l’occasion de maintenir toujours incertaine la frontière entre la vie et la mort, entre la création passée et celle à venir. Il reconstitue dans un assemblage de pièces rares un geste de théâtre qui a déchiré le temps.

Le nouveau, c’est en même temps l’ancien : dans le nouveau, l’ancien se reconnaît et devient facilement intelligible. (Theodor W. Adorno)

Matéo Mavromatis, doctorant en Arts et Esthétiques de la scène – Aix Marseille Université