Elle est là
Lumière Geneviève Soubirou
Avec Roland Bertin, Claude Degliame, Jean-Claude Jay, Marc Eyraud
Elle est là, qui une pensée étrangère à soi, contraire à la sienne où n’importe où justement, dans une tête, n’importe laquelle, proche, pas spécialement équipée pour penser, une pensée nichée là et cette pensée tout à coup vous empêche de vivre, elle est là, dans la pièce à côté, celui qui la porte entre, et c’est intolérable. Le porteur s’éloigne mais le mal est fait un mécanisme est là dans cette cervelle et au-to-ma-ti-que-ment il va saisir, broyer, détruire, réduire en poussière, en bouillie... ce qui respire... ce qui veut vivre.
La plus inoffensive bestiole alerte toute l’attention, parait aussi effrayante qu’un tigre quelque chose qui ne porte aucun nom s’est mis en route, en vie, et prolifère. Une force aussitôt, adverse s’est mise en action, un dispositif se met en place c’est la riposte c’est la terreur c’est l’intolérance détruire ça, laver, nettoyer la cervelle où habite la source cette source la tarir mais l’idée, cachée comme dans un placard, remisée dans un coin, protégée, mise à l’abri, demeure et, de plus belle, derrière un mur, et au-delà où elle est enfermée, la prison, l’asile, un recoin caché de la cervelle, continue son saccage, sa contagieuse infiltration alors le meurtre, l’assassinat, l’exécution, totale, définitive, mais l’idée circule au-delà de celui qui la porte ou la transporte ; même et d’autant plus peut-être après la destruction du porteur, alors ?
Et pourtant, attention ; il ne s’agit pas d’un Etat, d’un parti, d’une religion, d’une lutte historique, d’une société avec ses armes, ses tortionnaires, ses guerres, ses camps, ses bombardements : non, dans un coin, chez n’importe qui, vous, moi, à n’importe quelle situation, à n’importe quel niveau de l’échelle sociale, sans distinction de sexe, dès que ça se produit, le phénomène, alors aussitôt, cette douleur intolérable et aussitôt l’envie de tuer, de régler son compte, d’anéantir, de supprimer pour cette "émanation" et rien que pour ça, quelque soit mon idée quelque soit celle de l’autre et seulement parce qu’elle n’est pas la même ; celle de l’autre, que la mienne. C’est donc si fort, si vaste cette "émanation" tellement irrésistible au siècle de la liberté d’expression, et laquelle est la plus forte, celle qui vient de moi ou celle qui vient de l’autre. Je suis Staline, moi, mon voisin de palier ; ce spectateur du troisième fauteuil au troisième rang en partant de la gauche, habillé d’innocence l’oeil fixe, bien élevé, civilisé, libéral bien entendu, correct. Pour cette idée nichée, pas même exprimée et qui pourrait nicher ailleurs, j’exécute ou alors pour qu’elle vive mon idée, qu’elle éclate, se propage, éclaire le monde, je me fais exécuter parce que mon idée c’est la vérité -quelle vérité pas celle de l’autre, la mienne, c’est la mienne qui est la vérité... On le voit bien, sans crier gare, ce qui s’agite ici sous nos yeux soulève des questions qui sont parmi les plus lourdes de notre temps. Et de cela même il faudra faire un objet de théâtre...
Claude Regy.