Emma Santos
Scénographie Jacques Le Marquet
Avec Emma Santos
J’ai préféré fuir. Fuir le dehors, fuir le dedans, abandonner les lieux. Me réfugier dans l’irréalité. Je ne savais pas ce que je voulais exactement : être à l’hôpital ou retrouver le monde. Je ne pensais plus qu’une chose : ne pas subir les autres, ceux de dehors et ceux de dedans.
J’ai décidé. La folie d’un livre était insuffisante, il fallait la transporter dans la vie. J’écrivais donc ma folie puis je vivais comme je voulais. C’était l’époque de La Loméchuse, en 1972. La folie choisie, écrite sur mes feuilles, cette folie faite avec mes mots et mes désirs. Je me suis jetée dans le délire comme une immense étendue d’eau devant moi, poussée et attirée par mon double. Les autres sur la rive, ils essayaient de m’arrêter, de m’interrompre. Ils interdisaient de passer les frontières de la décence. Ils m’investissaient, ils me séduisaient avec des drogues, ils me menaçaient. Je fuyais plus loin, heureuse enfin et réconciliée avec moi.
Puis des médecins se sont bien aperçus que je n’étais pas « une débile dangereuse, marchant sur l’eau avec des armes » mais une folle de mots folle du jeu de la parole, malade de l’envie de parler. Ils m’ont rendu la liberté, la liberté du corps, une liberté dérisoire, liberté à condition, la liberté contre la promesse de ne plus recommencer cette expérience, ma liberté contre le silence.
Emma Santos
J’avais demandé à Emma l’autorisation de réaliser un spectacle. Trois comédiennes devaient jouer. Certaines ont eu peur. Peur de la folie, peur de la maladie, peur de basculer derrière une frontière où elles ne voulaient pas aller ou retourner. Emma développait des réactions allergiques à l’encontre d’autres. Pendant les répétitions j’avais demandé à Emma de dire son texte en tant qu’auteur, ce que je fais toujours. Elle émettait quelque chose de tout intérieur, qui tout en passant par le corps nous arrivait directement avec une espèce de simplicité absolue : une autre voix.
Quand Emma commencé à prendre possession de son texte, ça lui est devenu intolérable de s’entendre dire à l’extérieur d’elle-même. Elle en a parlé comme d’un vol et d’un viol. Quand elle s’est retrouvée seule, il y a eu une telle libération des mots et même des gestes, une telle ampleur du lyrisme et des violences criées, et surtout cette rythmique qui lui est naturelle, cette espèce de litanie obsessionnelle, répétitive. Même à travers les défauts, bafouiller, toussoter, elle obtenait un pouvoir de fascination. (Je crois beaucoup aux failles, alors que le travail traditionnel de diction détériore la vie du texte). Je me demande si ce travail commencé là ne pourrait pas s’étendre, s’adresser au plus grand public, à partir d’un livre comme La Punition d’Arles, assez différent de La Malcastrée, plus dans l’obsession de l’arrachement d’amour.
Claude Régy