4.48 Psychose
Texte français Evelyne Pieiller revu par Claude Régy / Scénographie Daniel Jeanneteau / Lumière Dominique Bruguière / Costumes Ann Williams / Son Philippe Cachia / Video Erwan Huon / Assistant à la mise en scène Alexandre Barry
Avec Isabelle Huppert, Gérard Watkins
Pièce ou plutôt poème car Sarah Kane, en écrivant ce texte, voulait découvrir comment un poème pouvait quand même être théâtral.
4.48 peut être considéré, selon les propres termes de Sarah Kane, comme
"une dépression chaotique"
"une structure apparemment brisée et schizophrénique qui présente un matériau sans commentaire et demande au public de se fabriquer sa propre réponse".
Comme elle l’a dit pour Manque (sa pièce précédente), cette pièce parle du désespoir et du suicide. Et la raison, dit-elle, c’est qu’elle l’a écrite à un moment où elle était totalement désespérée.
Il semble aussi que, depuis Manque, le rythme prédomine sur le sens. Il semble, pour ses deux dernières œuvres Manque et 4.48 Psychose, qu’elle ait senti le rythme de l’œuvre avant de savoir quoi écrire. Grâce au rythme et à la composition — le choix des mots donc des sons — quand le sens arrive c’est plusieurs sens à la fois.
Dans l’économie de chaque ligne est dissimulé un dispositif concentré assez semblable à un explosif.
Grâce à quoi Sarah Kane peut écrire dans 4.48 :
"Rien qu’un mot sur une page et il y a le théâtre"
Elimination du spectaculaire.
Stricte économie de la langue. Travail sur la langue.
Pour écrire, pour trouver en elle le noyau de cette transmission immédiate, elle dit simplement qu’elle "s’immerge dans l’écriture". Et nous, écoutant ou lisant, pour recevoir en nous de l’être immédiat, pour devenir sensibles au-delà même de la compréhension, pour nous ouvrir à des correspondances non exprimées entre des sphères apparemment étrangères, nous devons aussi nous laisser faire, être immergés dans l’écriture.
Car, dit Sarah Kane, "il y a bien plus important que le contenu de la pièce, c’est la forme. Tout art de qualité est subversif, dans sa forme ou dans son contenu. Et l’art le plus grand est subversif dans sa forme et dans son contenu. Et souvent, la forme est l’élément qui fait le plus injure à ceux qui veulent imposer la censure. Beckett, Barker, Pinter, Bond, ils ont tous été critiqués non tant pour le contenu de leur œuvre que parce qu’ils utilisaient des formes non naturalistes qui se dérobaient à une interprétation simpliste (…)
La forme et le contenu tentent d’être une seule et même chose — la forme est le sens."
C’est un peu une révolution, une révolte contre l’inflation du sens, contre une vision étroite — abusive — de la notion de sens.
C’est une indication, en tout cas, sur comment lire, comment écouter, comment finalement appréhender l’absolue nouveauté de cette écriture qui fait entendre mêlé aux cris qui se font en nous, l’écho des cris stridents du monde.
C’est simple parce qu’immédiat.
Dans Manque Sarah Kane a écrit :
"Dieu je voudrais avoir la musique mais tout ce que j’ai c’est les mots".
Qu’elle se rassure, sa musique et ses mots foncent droit sur nous.
Claude Régy