©Pascal Victor

Homme sans but

Texte français Terje Sinding / Scénographie et costumes Sallahdyn Khatir / Lumière Joël Hourbeigt / Son Philippe Cachia / Assistant à la mise en scène Alexandre Barry

Avec Jean-Quentin Châtelain, Redjep Mitrovitsa, Axel Bogousslavsky, Bulle Ogier, Marion Coulon, Bénédicte Le Lamer

Avec Homme sans but, Arne Lygre veut dire que, pour lui, l’humanité n’a aucune véritable finalité.

L’ironie cruelle de cette pièce vient de ce qu’elle travaille sur le "comme si".

C’est comme si mon ombre n’était pas mon ombre, mais celle de quelqu’un d’autre que je paye pour superposer son ombre à la mienne.

Quelqu’un que je paye pour créer une "illusion".

Ainsi pourrait-on créer le "simulacre" d’une famille.

Ce serait alors quelque chose comme l’instauration d’une prostitution intime et universelle.

Loin d’être une fiction, n’est-ce pas l’état de notre monde.

Un scanner du nouveau pouvoir, le pouvoir d’achat. Le pouvoir de tout acheter. Y compris des personnes, voire des sentiments.

Mais chez Lygre aucun didactisme.

Par la seule lumière du faux-semblant il invente une poésie — et cela sans aucune littérature. Il est l’inventeur particulier d’une poésie sans phrases.

Lire Arne Lygre, c’est une jouissance. La jouissance la plus forte, celle de la perversité.

Simplement Arne Lygre nous retire — retire du monde — toute stabilité.

La lumière apparente est calme — il y a des éclats — la lumière est froide, celle de la glace.

Une poussière de neige transforme l’image en croquis.

Par la couleur rouge — le pourpre, l’écarlate — s’évoque la destruction de Babylone (la grande prostituée de l’Apocalypse) où s’entassaient le stupre et les richesses.

Les théorèmes, les équations — ce texte leur ressemble — n’ont pas de morale. Par contre, on sait que la démence développe une lucidité extrême. Alors sans doute une lucidité extrême trahit une certaine forme de démence.

Ce délire-là serait blanc. On voit la lucidité transpercer l’opacité. Mais tout à coup la neige a le gris de la cendre.

Des sentiments de base — ceux d’une famille par exemple — sont obtenus par des sommes d’argent versées à des personnes qui simulent sans doute ce qu’elles ne sont pas. Et pourtant tout est si vrai.

On demeure constamment — c’est tout l’art de la pièce — dans le trouble d’une ambiguïté. On est ce qu’on n’est pas.

Le développement moderne de la réalité virtuelle crée un doute sur la nature de la réalité du réel.

Et d’ailleurs, notre monde est en train de glisser vers une situation où l’artificialité tient lieu de réel.

Dans la pièce, tout est donné simplement, comme un état des choses.

Nous voyons là, dans une accélération du temps, une cité se construire sur une terre vierge. Et puis cet empire d’un homme fortuné est réduit au pillage, à la destruction.

Les objets pourraient laisser la place à des êtres. Mais les êtres - eux-mêmes réduits à l’infime pellicule d’une apparence éphémère - sont devenus des objets marchands.

On est très au-delà du jugement. 

Claude Régy